Développement et retouche. A la Préhistoire, c’est-à-dire quand j’ai commencé la photographie, au milieu des années 90, la question ne se posait pas. Lorsque je revenais de reportage, avec mes rouleaux de négatifs, je ne pouvais livrer mes photos à mon rédacteur en chef qu’après les avoir développées.
Sans cela, je n’avais en terme de clichés que des petits rouleaux de plastiques inexploitables pour les secrétaires de rédaction. Pour cela, il était nécessaire d’entrer dans le labo, de savoir casser des coques et couper des “cuts” dans le noir de plonger les films dans la chimie, de contrôler la température et la durée, et de bien manœuvrer l’agrandisseur, les lampes et les caches.
Pour les grincheux : je connais les photomanipulations qui ont existé dès les pictorialistes au début du XX° siècle, chez les surréalistes avec Man Ray, et en publicité dans les années 80 avec la « french correction » de Jean-Paul Goude. Mais, par pitié, arrêtez de m’envoyer des messages : vous lisez une chronique, qui cherche à aller à l’essentiel, pas un livre approfondi de l’art photographique.
Une chose à retenir : la photo n’existe pas tant qu’elle n’a pas subi le processus de développement. Avant ce dernier, la photo n’existe pas, aussi bien en argentique qu’en numérique. On parle alors “d’image latente”.

La célèbre photo de James Dean par Denis Stock, tirée « brute » avec les informations de correction.
Une fois le négatif développé, il fallait encore le “tirer”. Sous l’agrandisseur, et avec la lampe inactinique, on pouvait changer le tirage de couleur, jouer avec des cartons pour faire plus ou moins apparaître un aspect de l’image. Bref, entre l’image originelle et le rendu final il y avait une différence marquée, fruit d’un travail humain, qui permettait de “révéler le réel”, sans le travestir.

L’image finale, avec le rendu souhaité par le photographe.
Mieux encore, le photographe expérimenté savait que pour faire apparaître certaines textures (comme sur la photo présentée ci-contre), il était parfois nécessaire de sous-exposer, d’avoir choisi le bon type de film, etc., pour permettre un développement qui soit au niveau de l’image finale attendue.
Clic-clac Kodak
Pour les particuliers, à l’époque, c’était la même chose, automatisée, grâce par exemple aux machines Kodak. On ramenait des négatifs de ses voyages, on les déposait au labo photo, l’opérateur mettait les négatifs dans la tireuse, qui développait les films, “optimisait” automatiquement l’exposition et la couleur, et tirait finalement les photos sur papier. Quelques jours après, on vous remettait une pochette comprenant les photos développées. Et, notons le bien, pas retouchées.
C’est exactement la même chose aujourd’hui en numérique.
L’image latente (“brute de capteur” comme on dit indûment), qu’on trouvait naguère sur le négatif non développé, c’est exactement à quoi revient aujourd’hui le format RAW de votre appareil photo numérique. Et si vous “voyez” la photo (sur l’écran de votre boîtier par exemple), ce n’est que parce que le microprocesseur de l’appareil génère automatiquement un petit fichier (de type .jpg), qui vous permet de la visualiser. Mais ce n’est qu’un aperçu et pas votre photo elle-même…
Ceux qui utilisent les “style d’images” chez Canon par exemple, où l’aperçu .jpg peut être contrasté ou saturé à la bétonneuse, et donner une impression d‘image très valorisante, en sont en général pour leurs frais lorsqu’ils découvrent, médusés, que leurs fichier RAW sont tout grisâtres et sans contrastes.
Révélation
Pour que votre photo se “révèle”, il faudra que vous utilisiez un logiciel (comme Lightroom), puisque il s’agit d’un fichier numérique (une suite très longue de 0 et de 1). Vous aurez alors à votre disposition les mêmes outils que celui du laborantin de naguère : la possibilité de jouer sur la tonalité et le contraste et les micro-contraste par zone, la couleur, le grain et les virages…
Gardons évidemment à l’esprit que ce que vous voyez avec vos yeux quand vous prenez une photographie, et ce que le capteur de votre boîtier perçoit, il peut y avoir un monde (cf « On nous ment depuis le début »). Je ne le répéterais jamais assez : la photo n’est pas un outil de reproduction du réel, mais “la concrétisation des désirs du photographe.”

En haut, une photo « brute » réalisée il y a quelques semaines, en bas, la photo développée (n&b, noir+,ombre-), sans retouche, que vous avez pu découvrir sur cette page.
Il s’ensuit que le développement (en argentique ou en numérique) est la suite logique et consubstantielle du processus créatif. Bien loin de la méthode malhabile des photographes débutants qui y voient un outil destiné à améliorer la photo ou pire, à “sauver les meubles”.
On dira donc, comme c’était le cas en argentique, que le développement concerne les processus suivants : la transformation en noir et blanc (les raw étant par définition des formats couleurs RVB), l’exposition, le contraste, la chromie, la variance des couleurs sous-jacentes au noir et blanc numérique, les masquages (intervention ponctuelle sur l’image destinée à agir localement sur les processus énoncés), le recadrage, le grain, les virages et les traitements croisés, et enfin la dynamique et le contraste de l’image (qu’on avait autrefois en choisissant plutôt une pellicule Ilford qu’une Fuji par exemple).
Dans mon cas, je passe beaucoup de temps à choisir mes réglages, à placer mes sources de lumières, à calculer mes familles d’angles et à diriger les modèles, pour ne jamais avoir à en passer (sauf commande spéciale) par la retouche. Cela me fait gagner du temps (donc de l’argent) et me permet de livrer mes clients sous deux jours après la prise de vue.
Mais alors, c’est quoi la “retouche” ?
Eh bien, c’est tout ce qui vient après, dans le but, soit de corriger les erreurs du photographe (éléments mal placés, flare, problème de colorimétrie, cadrage etc.), celles de son matériel (aberration chromique, géométrique, objectif manquant de clarté etc.), ainsi que de rajouter ou d’ôter des éléments de l’image.
En tant qu’ancienne photo-reporter, discipline où la retouche était déontologiquement interdite, je considère qu’on peut presque toujours, à la prise de vue choisir un cadrage sans éléments néfastes (pylônes, flare, panneau de signalisation etc.), adapter son matériel à sa prise de vue, et obtenir des photos qui ne nécessitent rien d’autre qu’un bon développement. Ça s’apprend, ça s’entretient, mais on finit nécessairement par avoir des images solides.
En gros, si on s’en tient à ce qu’on voit sur Facebook, la retouche consiste à nettoyer les peaux (enlever les boutons, les rides, les poils disgracieux etc.), transformer les morphologies (mincir un modèle, grossir ses seins etc.), rajouter ou enlever des couleurs, ajouter ou enlever des éléments du décor etc.

Deux visions autour d’un même matériau photographique. A gauche, ma photo, juste développée, à droite, la vision de Clair-Obscur, fruit d’une foule de manipulations.
C’est sans doute passionnant, mais pour peu qu’on maîtrise un peu la lumière, on se rendra vite compte qu’on peut obtenir ces résultats à la prise de vue. La grosseur d’un sein par exemple. Le débutant utilisera l’outil grossisseur du filtre fluidité de Photoshop. Un photographe expérimenté, qui sait que l’impression de “grosseur” vient de la gradation du contraste entre la clarté et l’obscurité, se débrouillera pour que la lumière touche un peu plus la partie supérieure du sein, et cause un ombre plus marquée en-dessous. Deux secondes de réglages des sources de plus, et dix minutes gagnées sur l’informatique abrutissante.
Pas de hiérarchie entre les disciplines
Bien sûr, il y a des génies de la retouche, et il ne s’agit pas là de créer une hiérarchie entre les disciplines. J’admire les travaux ahurissants de qualité de certains d’entre eux, comme Erik Johansson Mais je considère qu’il faut choisir son camp. Soit on est photographe, et dans ce cas on soigne sa prise de vue et son développement. Soit on est retoucheur.
Pour illustrer cette idée, j’ai publié un livre (qu’on peut toujours se procurer ici), voilà quatre ans, avec mes photographies et les “photomanipulations” réalisées par l’excellente retoucheuse Clair-Obscur. Le livre s’appelait “Fatales”. Voici un exemple ci-contre de ce travail.
A chacun son métier 🙂
N’hésitez pas à commenter mes articles, à m’indiquer les erreurs que j’aurais pu commettre, et à les faire circuler autour de vous si, toutefois, vous les jugez intéressantes.
Nath-Sakura
SE PROCURER LE MANUEL PHOTO ET D’ECLAIRAGE DE NATH-SAKURA Nath-Sakura a rassemblé toutes ses connaissances et ses méthodes de photographie dans ce gros manuel de 396 pages. Imprimé en quadrichromie et en format 21×21 cm, ce manuel répond à toutes vos questions en matière de photo et de maîtrise de la lumière. Qu’il s’agisse de lumière naturelle ou artificielle. Il parle aborde aussi en profondeur la question de la direction artistique, de la direction du modèle et de matériel d’éclairage. Plutôt qu’un énième livre de « recettes photographiques » comme on en trouve à foison, ce livre vous enseignera, avec intelligence et simplicité, à maîtriser la lumière. Ce qui vous permettra d’en comprendre les phénomènes et à mieux réussir l’ensemble de la chaîne graphique de la réalisation d’image de haut niveau. Vous pouvez consulter le sommaire complet et commander le livre en cliquant ici