Bonne photo. Petit déjeuner dans un hôtel, entre fruits frais et fromage blanc au miel. Je découvre sur mon portable les critiques des internautes d’un forum photo. « Trop penché, la mer va se vider« , « Lumière trop dure« , « L’horizon n’est pas au tiers ». Il faut dire que la mode du moment, c’est le portraits en bokeh, avec des lumières uniformes, douces et hamiltoniennes, si possible en contre-jour avec un flare.
Bref, ce qui est facile à réaliser dès l’instant où on a compris la recette. Ça c’est beau ! « Cul-cul la praline » à souhait mais suffrages assurés face aux petits Ayatollahs de la photographie qui encombrent internet.
Évidemment, avec ça, à la poubelle Salgado, Brassaï et Mapplethorpe. Une photo est belle avec une ouverture plus grande que f/4.0. Un point c’est tout. Avec des horizons droits, des visages sur l’intersection des tiers, des lumières uniformes sur les corps et la profondeur de champ la plus faible possible. Ça tombe bien : ça fait vivre les fabricants de matériel photographique, qui se frottent les mains. Les optiques disposant de grandes ouvertures étant toujours beaucoup plus onéreuses.
Nous subissions encore les conséquences du péché originel de notre art : prétendre que la photographie est un outil de reproduction du réel (lire ici). Que notre art est réductible à sa technique. Et donc que le « beau photographique » réside dans l’addition des règles posées comme intangibles. Et de la mode du moment.
La fillette brûlée au napalm
Pourtant, certains clichés inouïs nous montrent que la beauté et la puissance d’une photo résident ailleurs que dans la recette de cuisine popote qu’on nous sert partout jusqu’au dégoût. Que « l’instant décisif » dont parle Cartier-Bresson prime sur les règles d’exposition et de cadrage. Que « l’énergie » et la dynamique d’une image prime sur tout le reste.

La photo originale du « Che » d’Alberto Korda. Dont la version retouchée à fait le tour du monde.
Qui n’a pas découvert avec stupéfaction la photo originale de Che Guevara réalisée par Alberto Korda : grisâtre, « pleine pastille », avec le révolutionnaire un peu tassé, coincé entre une plante verte et le profil d’un homme. Photo devenue pourtant l’une des plus grandes icônes de notre art, grâce à l’éditeur Giangiacomo Feltrinelli.
Que dire des extraordinaires clichés de Marilyn Monroe par Bert Stern et par Eve Arnold. Sur un forum photo le « fond cramé » ne passerait pas les premiers commentaires, ou bien les lumières mal positionnées quand il est pourtant évident que l’énergie a primé, et que si le photographe a déclenché à ce moment précis, c’est parce que là était la « bonne photo » malgré la lumière. Pour la petite histoire, la photo était prévue pour que Marilyn ait la tête baissée, et regarde par en-dessous mais, éclat de rire aidant, c’est son visage relevé, éclatant de puissance, qui a été choisi. Et avec raison. Ce cliché reste un des grands chefs-d’oeuvre des années 50.
Ou du visage de la jeune vietnamienne nue fuyant les lieux d’un bombardement au napalm sur la photo mythique réalisée par Nick Ut, qui ne se trouve pas (sacrilège !) à l’intersection des tiers. Elle est même « pleine pastille ». Sans compter qu’on n’y voit pas ni vrai noir, ni vrai blanc. Cette photo, dans sa cruauté, ne pouvait pourtant pas être prise différemment pour être réussie. Le choix du photographe, de cadrer de cette manière, en positionnant la petite fille au centre, les bras en croix, comme le Christ, la bouche ouverte sur un cri inaudible, comme le tableau éponyme de Munch, les lignes de fuite (aux deux sens du terme) avec les autres enfants, la nudité de la petite fille qui puise aux plus profondes racines de notre culture judéo-chrétienne (la nudité a été pendant tout le Moyen-Âge le symbole de la pauvreté et de la souffrance du Christ, sans aucun aspect érotique), tout cela fait de ce cliché une très grande photo, même si elle est à pleurer.
Trois clichés pourtant qu’on n’oubliera jamais. Quand tant de très « belles » photos avec de magnifiques bokeh rejoignent chaque jours les poubelles de l’histoire de l’art.
« Si je savais prendre une bonne photographie, je le ferais à chaque fois » (Doisneau)
Si la photographie était un savoir-faire, comme le pensent certains esprits étroits, il serait aisé, une bonne fois pour toute de déterminer comment réaliser « la bonne photo ». Un logiciel informatique aurait évidemment été fabriqué pour remplacer l’oeil du photographe. Des ingénieurs auraient déterminé une bonne fois pour toutes quelle est la bonne quantité de lumière, le bon angle et la bonne dynamique de l’image. Les programmes automatiques de nos boîtiers photos auraient des rendus épatants, et nous, photographes professionnels, serions tous au chômage.
Mais la photographie est un art. Au même titre que la peinture ou la musique.
Elle comprend tellement d’autres facteurs que la technique, les habitudes visuelles, la mode, et la qualité du matériel. C’est d’ailleurs ce qui rend l’exercice de cet art aussi excitant : on ne sait jamais ce qu’on va vraiment trouver dans les clichés qu’on va développer. La maîtrise permet juste de s’assurer d’une qualité minimum. Mais on ignore où sera la « pépite », la photo majeure qui justifiera des années de travail et de recherche.

Roy DeCarava, Le contrebassiste
Tout est dans l’intention
Parfois l’image tient sur la puissance d’un regard sur la ligne médiane de l’image, comme dans le portrait des mineurs indiens de Salgado. Parfois sur la puissance d’un noir sans texture, comme dans le « Boucher » de Doisneau. Dans la gueule de bois d’un horizon penché, comme dans le contrebassiste de Roy DeCarava.
Mais si le hasard fait parfois bien les choses, on reconnaît un chef d’œuvre, et un maître en photographie dans l’intention. Lorsque DeCarava fait pencher sa photographie, en choisissant un angle biaisé, pour nous parler du retour de musiciens Noirs d’une boite de jazz en pleine Amérique ségrégationniste des années 50, où l’alcool a probablement coulé à flot, fatigue aidant, le sentiment de sourde déception du retour à la vie « normale » de l’artiste tombe sur nous : l’intention est là. Le partage d’une émotion qui prendrait probablement des dizaines de pages dans un roman est instantané.
Et demeure bien plus puissant.
Nath-Sakura
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SE PROCURER LE MANUEL PHOTO ET D’ECLAIRAGE DE NATH-SAKURA Nath-Sakura a rassemblé toutes ses connaissances et ses méthodes de photographie dans ce gros manuel de 396 pages. Imprimé en quadrichromie et en format 21×21 cm, ce manuel répond à toutes vos questions en matière de photo et de maîtrise de la lumière. Qu’il s’agisse de lumière naturelle ou artificielle. Il parle aborde aussi en profondeur la question de la direction artistique, de la direction du modèle et de matériel d’éclairage. Plutôt qu’un énième livre de « recettes photographiques » comme on en trouve à foison, ce livre vous enseignera, avec intelligence et simplicité, à maîtriser la lumière. Ce qui vous permettra d’en comprendre les phénomènes et à mieux réussir l’ensemble de la chaîne graphique de la réalisation d’image de haut niveau. Vous pouvez consulter le sommaire complet et commander le livre en cliquant ici